#29

31 juillet 2011

Jacques continua à suivre la routine vacancière qu’il s’était faite. Simplement, la douche était devenue froide. Mais au fond, cela faisait du bien, dans cette chaleur.

Maintenant, quand il pêchait, il ne prêtait plus trop attention au ballet des pêcheurs, ni au lever de soleil. Non, le regard perdu dans le vague, dirigé vers le bouchon au bout de la ligne, il pensait aux étranges évènements qui se produisaient, ici et là.

Il avait entendu parler de maisons englouties par le lierre. A vrai dire, il n’y croyait qu’à moitié. Il avait bien vu que la végétation poussait plus vite que la normale, mais de là à submerger un immeuble en quelques jours… Jacques savait bien comment le bouche-à-oreille pouvait transformer la girelle en thon, d’un bout à l’autre du port.

Il n’empêche, rien que la vigueur de la verdure et l’invasion de méduses géantes – qu’il avait lui même constatées – suffisaient à le préoccuper. Sans compter cette météo étrange, qui passait en peu de temps de la pétole à la pire tempête, comme celle de la veille. Ce n’était pas normal. On accusait la chaleur, mais ce ne pouvait être la seule cause. Scientifiquement, il y avait un problème.

En rentrant de la pêche, il vit du monde sur la plage. Il s’approcha, et distingua plusieurs animaux échoués. Il descendit sur la plage.

#28

30 juillet 2011

Jacques raccrocha, pensif. Il était assez surpris par l’attitude de son ami : son optimisme était heureux à voir. Yves avait toujours eu un fort tempérament – quand il prenait une décision, il la suivait. Il n’avais visiblement pas changé. Peut-être était-ce seulement une façade, une apparence qui cachait des faiblesses, des doutes. Mais il y avait une telle volonté derrière ses paroles, qu’il était difficile de ne pas y croire.

Jacques se demandait ce qu’il aurait fait dans pareille situation. Il était bien conscient qu’il n’était jamais possible de savoir à l’avance, mais il ne pouvait s’empêcher de se poser cette question. A vrai dire, il ne pensait pas qu’il aurait un tel courage, une telle volonté, et admirait d’autant plus la combativité d’Yves.

Il sortit dans le jardin. L’herbe avait beaucoup poussé, et des fleurs apportaient, ici et là, des taches de couleur. C’était un peu surprenant : avec cette sécheresse, tout devrait être jaune et fané…

Pendant la discussion, Jacques avait reçu un message. Il le lut. C’était Véronique, une amie de ses parents, qui annonçait sa venue. Jacques l’aimait bien, mais craignait un peu qu’elle n’amène avec elle quelques catastrophes, comme cela arrivait souvent avec elle. Enfin, au moins, la suite promettait d’être distrayante.

#27

29 juillet 2011

Jacques avait réussi, après un certain temps à passer d’un standard téléphonique à un autre, à  obtenir le numéro de la chambre d’Yves à l’hôpital.

– Allô ?

La voix était un peu faible, la prononciation difficile, mais c’était bien son ami.

– Allô, Yves ?

Pour un peu, Jacques en oubliait presque de répondre. Il avait imaginé des centaines de scenarii possibles pour la conversation. Sauf le bon, évidemment. L’accident de son ami le touchait beaucoup.

– Jacques ? … Jacques ! Ça fait un bail !

– Ben oui, je… enfin… On m’a dit, pour ton accident, et je…

– Oh, allons… Ne prend pas ce ton si déprimant ! Ça ira pour moi, ne t’en fais pas…

– Ah ?…

– Pour l’instant, je ne peux quasiment pas bouger la moitié gauche de mon corps. Et je ne sens rien de ce côté… C’est con, en plus, j’étais gaucher !… La faute à pas de chance…

 » De tout le baragouin des médecins, j’ai compris une seule chose : je peux récupérer. Et je vais récupérer. Crois-moi, j’ai pas envie de rester comme ça…

– Ah !…

– Mais oui, je te dis. Aujourd’hui, j’ai réussi à lever un peu le bras. Hier, je pouvais pas, alors qui sait comment je serai demain ?… Aucune raison d’être pessimiste. Mes parents ont l’air assez abattus comme ça, pas la peine d’en rajouter !…

 » J’ai jamais aimé l’hôpital. Trop de souffrance… Beaucoup d’espoir, aussi, mais… c’est fou comme les couloirs d’hôpitaux donnent le cafard… Même quand ils sont lumineux et modernes, il sont imprégnés…

 » Dans deux jours, je mets les voiles. Je pars en centre de rééducation. J’y resterai le temps qu’il faut.

– Ah ?… Où vas-tu ? Je pourrai peut-être passer te voir ?…

– Non, non… J’ai pas envie qu’on me voie comme ça… Si tu veux, passe un coup de fil, de temps en temps. Ça serait sympa.

– Je penserai à toi…

– Non, s’il-te-plaît, non. Vis ta vie. Prends du plaisir dans ce que tu fais… Oui, fais toi plaisir. Pour deux…

#26

28 juillet 2011

Et maintenant, que ferait-elle ? Cette question lui trottait dans la tête, lancinante, obsédante, à travers le semi-abrutissement dans lequel la chaleur et le vent la maintenaient.

La mer, devant laquelle elle était arrivée, était très agitée, et avait sa couleur vert profond des jours de mistral. Sur la plage, en bas, il y avait un attroupement, et aucun nageur.

Isabelle saisit au vent deux mots, tout juste arrachés des lèvres qui les avaient prononcés. Elle aimait bien piocher des mots, en passant, dans les lieux publics. Bien souvent, on pouvait en reconstituer des histoires, plus ou moins absurdes ou poétiques. Là, c’étaient des mots d’enfants, encore chargés d’étonnement crédule, et de crainte défiante. Et ça disait : Méduses géantes.

Après les poissons volants, c’étaient donc les méduses ! Décidément, cette année, la mer avait décidé d’en faire voir de toutes les couleurs ! Enfin, Isabelle s’en moquait assez, elle ne se baignait pas à cette époque de l’année. Et puis, pour le coup, elle trouvait ça joli, le couvercle de méduses qui flottaient à la surface de l’eau.

Elle reprit son chemin. Après tout, pour le travail, elle demanderait à Juliette. Elle saurait sûrement la conseiller.

#25

27 juillet 2011

Une surprise attendait Isabelle, en allant au travail : l’immeuble était inaccessible, entièrement couvert de lierre.

Cela faisait plusieurs jours que la végétation s’était mise à pousser de manière très accélérée. La chaleur, sûrement. Au début, on avait l’étrange et obsédante impression que quelque chose clochait, sans savoir quoi. Et un jour comme celui-là, quand le changement devenait trop visible, tout s’expliquait.

L’accès à l’immeuble était totalement impossible. S’il y avait quelqu’un dedans, il était emmuré – ou plutôt, enlierré – par une épaisse couche de végétation. Heureusement, ce n’étaient apparemment que des résidences secondaires inoccupées. Les pompiers n’arrivaient pas à pénétrer dans le bâtiment…

Isabelle savait qu’il arrivait à Jean Claude de rester dormir, dans l’appartement-bureau. Mais elle ne se manifesta pas. Elle essaya vaguement de le joindre au téléphone – sans succès.

Au fond d’elle, elle avait l’intime conviction que le problème « Jean-Claude » était réglé sous une marée verte. Elle trouvait amusante, la manière dont cela prenait fun.

Elle s’éloigna, l’esprit léger. Elle était juste un peu contrariée d’avoir tant travaillé pour rien. Encore que, elle avait conservé une partie des fichiers. Mais elle avait été payée, c’était l’essentiel.

#24

26 juillet 2011

Juliette vit rentrer Isabelle furieuse. Elle pestait toute contre Jean-Claude. Du flot de paroles que son amie débitait, Juliette comprit à peu près la situation.

Jean-Claude l’avait manipulée. En réalité, Isabelle toucherait une petite part des bénéfices réalisés pendant son stage. Comme c’était le lancement de l’entreprise, il y avait peu de clients, et beaucoup de frais. Malgré le discours rassurant du patron, elle avait bien compris qu’elle ne gagnerait pas grand-chose. Et comme elle n’était – bien sûr – pas déclarée, il était libre de faire ce qu’il voulait.

Isabelle avait vivement protesté. Comme elle avait menacé de faire un scandale, et discréditer l’entreprise – menace bien plus efficace que celle de saisir la justice -, elle avait pu négocier. Elle avait obtenu une avance raisonnable.

Passées les envies de meurtre, elle était déterminée à porter demain sa démission.

#23

25 juillet 2011

Le chauffe-eau était tombé en panne. Jacques avait essayé d’identifier le problème, mais quand il s’était retrouvé avec les mains pleines de rouille, il avait compris qu’il ne fallait rien tenter. Ce vieux chauffe-eau avait servi bien des étés, mais son temps était révolu.

Il se mit alors en quête d’un plombier. Il passa plusieurs appels, chercha sur internet… Hélas, les rares plombiers qui répondaient avaient un agenda bien rempli : piscines, climatisations… Tout ce que put obtenir Jacques, ce fut un rendez-vous pour le mois suivant.

Tant qu’il avait le combiné en main, il en profita pour passer deux appels importants.

D’abord, il donna des nouvelles à ses parents. Il leur décrivit rapidement ses journées, évoqua le problème du chauffe-eau. Son père parla un peu du travail, de l’entreprise. Ce n’était pas grand-chose, mais Jacques savait que cette discussion de routine était nécessaire, ne serait-ce que pour les rassurer – surtout sa mère.

Ensuite, il décida d’enfin prendre des nouvelles d’Yves. Il était gêné de ne pas l’avoir fait plus tôt. Mais en même temps, il se sentait tellement démuni, tellement bête, qu’il ne savait pas ce qu’il pourrait dire.

#22

24 juillet 2011

Jacques était un « scientifique ». Pas un chercheur, un gars en blouse et lunettes, que je sort jamais de son laboratoire, non. Mais sa vision du monde était celle d’un scientifique, nourrie du savoir acquis en de longues années d’étude.

Ainsi, devant la mer, il voyait une quantité astronomique d’eau, livrée à un mouvement perpétuel, déformée par les forces des vents et de gravitation. Les vagues étaient la matérialisation des ondes. Un coucher de soleil, un arc en ciel, le jeu de la réfraction. Les reflets d’une bulle de savon, les couleurs des ailes d’un papillon ? Des interférences. Le ciel étoilé était un théâtre gigantesque pour réactions nucléaires, relativité et attraction gravitationnelle. Quant à la vie, une affaire de réactions chimiques et électriques très complexes. Et toute cette matière, était faite de vide, dans lequel des myriades de particules élémentaires interagissaient entre elles.

Et tout cela formait son univers.

Certains trouveraient cette vision du monde trop technique, trop morne – trop triste, en somme. Mais elle donnait de l’assurance à Jacques. Elle lui permettait d’avancer en terrain connu, où chaque chose était à sa place, décrite, répertoriée. Ses connaissances lui donnaient des repères. Et voir le jeu de la science dans les phénomènes naturels ne leur ôtait ni leur force, ni leur beauté. Au contraire, cela permettait à Jacques d’apprécier l’œuvre de la Nature à sa juste valeur – lui qui avait tant de mal à ressentir vraiment.

#21

23 juillet 2011

Le matin, Jacques allait parfois à la pêche. Ces jours-là, il se levait avant l’aube, prenait sa canne, et s’en allait s’installer sur une pointe rocheuse. Il profitait ainsi des heures les plus calmes et fraîches de la journée.

Il lançait sa ligne, et attendait. De temps en temps, un poisson mordait à l’hameçon. Jacques remontait alors la ligne, et mettait sa prise dans un seau. Il y avait des fois où il gardait sa pêche, pour son déjeuner; mais bien souvent, il relâchait ses  poissons.

Car la pêche n’était qu’un prétexte pour venir si tôt voir la mer. De là où il s’installait, il contemplait toute la baie. Les bateaux de pêche allaient et venaient pour remonter leurs filets, et en poser d’autres. Leur sillage dessinait des lignes douces et régulières sur la mer, plate comme un lac, au petit matin.

Le ciel s’éclaircissait progressivement, et finalement, le soleil arrivait. Il réchauffait d’abord les bateaux qui rentraient au port, suivis par des nuées de goéland. Puis, il embrasait les falaises rouges, et les pinèdes. La mer changeait de couleur avec le ciel. De grise, elle devenait progressivement bleu profond.

A ce moment-là, une légère brise commençait à souffler, et ridait la mer. La chaleur montait : le jour était levé.

Alors, Jacques remballait ses affaires et rentrait lentement à la villa.

#20

22 juillet 2011

Les jours qui suivirent furent consacrés au travail. Juliette voyait bien que son amie en faisait peut-être un peu trop, mais Isabelle ne voulait rien entendre.

Jean-Claude était une personne assez sympathique. Il était bon vivant, et avait un très bon sens commercial pour vendre ses sites – autour d’un bon pastis. En revanche, il était assez difficile de travailler avec – ou plutôt pour – lui. Non seulement Isabelle devait faire tout le boulot, mais en plus il avait des exigences très fortes. Et ce qu’il demandait était souvent soit infaisable, soit moche. Isabelle ne se simplifiait pas la tâche en s’obstinant à corriger les fautes de goût du patron. Ce qui donnait lieu à de longs débats, dans un chaleur accablante que la mauvaise climatisation ne dissipait pas. C’est pourquoi Isabelle rentrait épuisée tous les soirs.

A la fin de la première semaine, elle demanda sa paye…